Un mot à l’origine religieux, pour représenter une figure religieuse dans la religion chrétienne orthodoxe. Un mot ensuite utilisé de manière impropre par le monde de la mode. Un mot qu’il s’est réapproprié pour parler de ses références, ses vedettes, ses … « divinités » !
Icônes deci-delà dans la mode
Le sens religieux disparaît progressivement au profit de l’aura du mot « icône » pour dire toutefois la puissance d’une personne ou d’un objet érigé au rang de symbole.
Icône de mode donc, un oxymore ? Un pléonasme ? Une belle formule, une expression qui n’a pas fini de révéler sa profondeur. Et aussi une exposition à double sens, très forte, qui vient d’ouvrir ses portes, au MTMAD, Musée des Tissus et des Arts Décoratifs de Lyon.
Marie, la Vierge Marie est une icône parmi les icônes, et son vestiaire, un dressing de reine.
L’exposition révèle les habitudes liturgiques d’un peuple très pratiquant, dévoué au culte de cette femme faite divinité. Les statues qui la représentent étaient au Moyen-Âge ornées de parures magnifiques, toutes plus richement brodées ou décorées.
Peu de ces vêtements sont parvenus jusqu’à nous suite à leur destruction quasi systématique pendant la Révolution.
C’est dire le caractère exceptionnel de cette exposition !
Que l’on soit croyant ou non, cette exposition est une curiosité, comme une visite dans un dressing hors du commun, un dressing sacré.
Scénographie de l’exposition au MTMAD
L’exposition se déroule sur deux étages, le rez-de-chaussée, consacré au vestiaire de la Vierge Noire de Notre Dame de la Daurade à Toulouse, et le premier étage, consacré aux pièces de la collection du Musée des Tissus, et de quelques emprunts à une église de Perpignan dont j’ai mangé le nom.
La robe des statues est une création méconnue, et pourtant majeure dans l’histoire religieuse française.Au XIIème siècle, on retrouve des mentions de statues habillées. Ce n’étaient pas des statues conçues pour cela.
Par la suite, on a créé des mannequins articulés, dont la fonction était d’être emmené en processions, et habillés (ci-contre). Les robes des statues sont progressivement inscrites dans les inventaires au même titre que les reliques, objets d’orfèvrerie, et autres richesses du Clergé.
C’est dire leur importance !
Habits, Coiffure et Maquillage !
Au XVIème siècle, les statues étaient même fardées, parfumées, coiffées.
C’est l’époque où l’Eglise se questionne, ce qui aboutira au Concile de Trente en 1563.
L’habillage des statues n’est cependant pas pour autant contesté. Au contraire, il aura une portée d’autant plus représentative de la dévotion : les robes étaient changées en fonction des Fêtes et des événements liturgiques : robe noire pour le deuil, violette pour la pénitence, verte pour les jours ordinaires, …
D’ailleurs, la robe présentée par Jean-Michel Broc, l’un des créateurs invités, est une robe de mai, le mois traditionnellement associé à la Vierge. Une robe dont les petits nœuds de couleurs vives lui évoquent des papillons qui viendraient butiner la robe de la Sainte.
Au XVII-XVIIIème siècle, ce sont même les statues des façades et des sanctuaires qui sont habillées.
Patatras la Révolution Française
La Révolution Française fait disparaître beaucoup de ces vestiaires. Il faut imaginer aussi que ces robes étaient réalisées dans les tissus les plus prestigieux : soies de Lyon, Venise, Amsterdam, Espagne, dentelles de Bruxelles, etc…
L’histoire de l’art contribue aussi beaucoup à la disparition de cette coutume, sous prétexte qu’on ne voit plus les statues, merveilles d’art roman ou gothique, sous ces robes.
La tradition d’habillage des statues a donc progressivement disparu, jusqu’à ce que le comité de protection de Notre Dame de la Daurade décide de remettre cette habitude en place, notamment pour sa Vierge Noire, protectrice des femmes enceintes et de la maternité depuis des siècles.
Le textile, vecteur de la présence divine ?
La première salle offre une présentation de 27 des 30 robes de la Vierge Noire de Toulouse.
La scénographie s’inspire des défilés de mode, jeu avec le titre de l’exposition : un podium de robes dessinées par des créateurs est entouré par une dizaine de robes plus anciennes.
A Remarquer : les robes de Castelbajac, d’inspiration militaire (la mode et ses influences militaires, expo à Marseille, MAJ mars 2017), probablement en écho au rôle de soldat de Jésus (une de ses représentations classiques, le Miles Christi), et de Jean-Michel Broc : une robe de Carême et une robe de Mai, car le mois de mai est traditionnellement celui de la Vierge, fêté par des processions d’enfants, etc. A noter aussi, la scénographie « Star ».
Autre fait intéressant : on doit lever les yeux pour voir les robes. Un détail intéressant, très spirituel et religieux j’ai trouvé !
Les robes sont à des hauteurs différentes, en lien avec les notes d’un chant grégorien en hommage à Marie. Dommage que la musique ne soit pas diffusée, car cet angle de vue ne saute pas aux yeux !
La garde-robe de la Vierge Noire est très riche bien sûr, et communique une sorte de présence. Or la Vierge Noire n’est pas là, sauf en petit : une photo de la statue est présentée pour ceux qui ne la connaîtraient pas, en fonds de salle. Cette présence, c’est justement ce que M. Durand évoquait : elle est immédiate grâce au matériau textile.
Comment étaient créées les robes des statues religieuses ?
On a trouvé des robes de statues réalisées à partir de robes de cour réutilisées, de châles, de cravates ou même de morceaux de gilets d’homme offerts par les fidèles. Les plus belles matières étaient choisies, en témoignent les textiles (satins, brocarts, taffetas, soieries,…) et dentelles et guipures des principaux centres de production de l’époque : Bruxelles, Amsterdam, Lyon, Venise…
Etrange comme une robe de cour, dont la fonction était surtout représentation / séduction devient un vecteur de spiritualité, et un symbole de la foi…
Les robes étaient brodées, avec des motifs fidèles à l’iconographie religieuse (les roses sans épines, symboles de Marie, l’Immaculée Conception, sans péché originel), ou sans rapport, en témoignent les chinoiseries, ou les soieries bizarres (le nom que l’on donne à ces soieries d’un motif caractéristique, mêlant imprimés naturalistes et géométriques).
Seul point commun de toutes ces robes ? La richesse des étoffes, broderies, et parfois bijoux. La robe est toujours une tenue d’apparat. Etrange comme elle crée la proximité avec le fidèle, tout en maintenant une distance, celle de la toilette luxueuse.
La forme aussi. Une sorte de cône. Pourquoi cette forme ? Tout simplement pour éviter qu’on ne « confonde » Marie avec une femme. Elle porte une robe dont la forme ressemble aux chasubles des prêtres, moyen de distinction et aussi symbole de la vie consacrée.
A noter : les robes sont des demi-robes en fait 🙂 Pas la peine d’habiller la partie qu’on ne voit pas !
Une très belle expo, visible jusqu’au 25 mars 2012, très riche, impressionnante, intéressante.
Si vous le pouvez, choisissez la visite guidée. On comprend mieux les pièces quand elles sont expliquées 🙂
Pssst : apparemment les Chrétiens n’ont rien inventé : les Egyptiens, les Grecs déjà habillaient leurs statues, celles qui résidaient dans les sanctuaires des temples (le naos). Ils les faisaient aussi voyager, leur donner à manger et à boire, etc. C’est fabuleux non, qu’une croyance soit constante à travers les millénaires, quelle que soit la religion ?
Une leçon de tolérance…
Pour acheter le catalogue de l’expo par Maximilien Durand : Icône de mode
Et n’oubliez pas de soutenir le MTMAD : Pétition contre la fermeture du musée (MAJ mars 2017)