Exclusif : Suite de l’entretien avec Martine Leherpeur (PART 2/2.)

La semaine dernière, nous avons eu le plaisir de découvrir la vie prolifique de la créatrice de Martine Leherpeur Conseil.

Aujourd’hui, la Dame nous parle de ses activités à Shanghai, du métier de consultant et de sa vision de la mode (photo Fashion Daily News).

Un bureau à Shanghai

«Aujourd’hui nous avons un bureau à Paris et un à Shanghaï.

La Chine représente 20% de notre chiffre d’affaires (avec 80% de marques chinoises). Au départ, c’était une idée saugrenue : la première fois que j’ai été en Chine, c’était en 1978, dans le cadre d’un voyage du Ministère de l’Industrie. On partait étudier le potentiel des usines chinoises, notamment pour la fabrication de chemises pour homme.

Je suis tombée amoureuse du pays. A l’époque je préparais le marathon NY : je m’entraînais tous les matins. Dans la rue, les Chinois étaient écroulés de rire à me voir passer. C’est un pays qui a le sens du bonheur. Ca a été un coup de foudre !

Ma nièce a fait l’ESSEC, la première grande Ecole à avoir fait  un échange avec une Université Chinoise. Elle habite depuis 15 ans là-bas. A chaque fois que j’allais au Japon pour voir des clients, je m’arrêtais pour la voir. A chaque fois, j’ai constaté des changements dans la société chinoise.  Mon fils travaille lui aussi là-bas, il est ingénieur.

Je connais bien ce pays, avec mon mari nous avons visité le pays en sac à dos pendant 20 ans.
Je voulais trouver un moyen de travailler là-bas. J’ai eu la chance de faire une mission en Chine pour Carrefour en 2000, c’était l’occasion de voir comment faire.

Pour m’implanter en Chine, je voulais faire les choses à la Chinoise. Ca a mis quatre ans : on a créé une société intégrée. Encore une chance, j’avais à l’époque une stagiaire chinoise. Je l’ai emmenée avec moi au 1er rendez-vous que j’avais avec une grande entreprise chinoise. C’était bizarre, on s’est vus dans un bar à bière Munichois. C’était très bruyant, je crois qu’il n’a rien compris.  Le deuxième rendez-vous avec un commercial s’est passé de la même façon.

La troisième rencontre a été plus prometteuse : notre interlocuteur avait fait ses études aux Etats-Unis, et passé 10 ans en Allemagne. Il a paru très intéressé, et a dit qu’il en parlerait à M. Jo, son directeur.

Après, tout s’est enchaîné très vite : nous étions rentrées en France, nous avons reçu un email, M. Jo nous conviait la semaine suivante !

J’avais l’habitude des rencontres à la chinoise : on dirait des tribunaux, il y a beaucoup de monde, en moyenne 5 personnes vous écoutent. Là, c’était une audience de 80 personnes ! Tous avaient des QCM de notation de ma présentation. J’ai commencé, et au bout de 5 minutes, un petit homme pas bling du tout est entré, et j’ai essayé de capter son attention : j’ai commencé à inclure des chinoiseries dans mon discours (l’harmonie, le ying et yang, etc.)

Ca a marché, nous avons fait affaire. Notre objectif était de faire passer l’entreprise de M. Jo de N°4 à N°1 de son marché. Après ce contrat, toutes les autres entreprises chinoises nous ont consultés.»

Les missions chinoises

«Les Chinois connaissent mal le marketing. Nous les aidons à construire leurs marques, et les accompagnons. Les Chinois ont compris qu’ils seraient plus fragiles s’ils ne restaient que des fabricants. Ils ont aussi réalisé que leur marché était de 500 millions de personnes.

Notre richesse là-bas, c’est le « pont » que nous tissons entre France et Chine. D’ailleurs le nom de notre bureau là-bas est chinois « XiaXia », et veut dire petit pont.»

L’âge de la retraite ?

«Aujourd’hui j’ai 66 ans, et contrairement à Peclers et Maïmé, qui ont vendu, j’ai décidé de transmettre l’entreprise à mon équipe. Je travaille avec eux depuis longtemps. C’est le plus beau projet de ma vie. J’ai eu beaucoup de chance, je n’ai jamais voulu d’investisseurs pour garder ma liberté. Ca n’a pas toujours été facile !

J’ai vécu plein de vies différentes, je considère que je dois donc transmettre tout ça.

Je ne suis pas encore partie cependant, je suis restée en tant que senior advisor. Ca me permet de continuer, et m’occuper de mes petits enfants. Ca, ça passe très bien auprès des Chinois, la famille est une  de leurs valeurs fondamentales. Ils m’appellent Nainai (grand-mère) !»

La Mode aujourd’hui et demain ?

«Comment je vois la mode d’aujourd’hui  et à venir ? Je crois que c’est devenu très compliqué, à cause de l’accélération et de la profusion des mouvements, des phénomènes, des produits. C’est difficile d’y voir clair, ça vient de partout ! Je pense qu’en conséquence avoir une ligne, un chemin personnel est très important.  Dans mon métier, il est indispensable de tracer des lignes rouges.

Je dirai que la mode d’aujourd’hui c’est un mélange de tout : revival, mix ‘n match, rétro, etc. Ca me fait rire de voir les jupes plissées revenir, alors que j’en avais plein mon placard dans les années 70 ! Quelque part il y a une grande richesse autour de nous, c’est très bien.

Aujourd’hui, je pense qu’on est sortis du Bling, et qu’on amorce un retour à l’authentique.

C’est ce qu’on a vu avec le vert : les grands chantiers de l’environnement etc. Et il y a aussi le retour à la qualité, et au  « Faire », au savoir-faire. C’est pour ça que le luxe marche bien, c’est la valorisation du faire. Surtout que ceux qui font le luxe sont des gens modestes qui ont la fierté de leur travail. Il y a chez eux un très grand respect de l’autre. C’est important d’autant qu’on est dans un  monde qui nous broie !»

Mode & Internet ?

«Oui, définitivement Internet a changé la donne. Internet, c’est beaucoup d’information, accessible à tous. Mais trop d’information tue l’information. Notre métier c’est de trier, d’organiser, pour que cette information soit utilisable par les entreprises.»

S’en sortir aujourd’hui ?

«Je pense que pour notre période, il faut avoir des idées, des initiatives, il faut créer. Mais avec plus de simplicité et de rigueur. Le monde est grand, chacun a sa place! Mais pour être choisi, c’est plus dur. Il faut être le truc qu’on ne sacrifie pas. Faire rêver. Plus les temps sont durs plus on a besoin de rêve. Et aussi inventer : il faut chercher ce qui sera demain. Cela doit être une obsession. Il faut se lancer, prendre des risques, oser.

Photo : antiperrichon.blogspot.com

Et puis on apprend sur le tas. Il faut toujours essayer de trouver des gens intéressants, qui vous apportent quelque chose. Ce qui fait qu’on progresse, se nourrir. C’est dur mais j’ai appris ça. C’est très important.

Pour surmonter la crise, il faut avoir un but, un objectif. La ténacité est clé. On se décourage vite ! J’ai une admiration pour les gens qui se battent, qui ont la niaque.

En même temps, il y a un grand écart constant entre le trop c’est trop et le petit truc authentique. On est dans le paradoxe en permanence.  Mais c’est aussi parce que tous ne recherchent pas la même chose.»

Être consultant ? Des qualités particulières ?

«Il faut être à l’écoute. C’est une question de tempérament. Il faut comprendre l’autre, savoir l’écouter. On a cette fonction de miroir dans le conseil. Près de 60% de notre métier c’est de la psychologie ! On dit les choses que les gens ne se diront pas.

Il faut savoir décoder ce que veut le client (et qu’il ne dit pas toujours) : il faut toujours reformuler un brief, car il y a toujours un filtrage de la personne. Et évidemment, il faut le faire par écrit : « c’est bien ça que vous voulez ? ».

Pour être consultant, il faut deux qualités opposées : la rapidité et la patience.

Un consultant ne fait jamais deux fois la même chose, il s’adapte à une problématique donnée, et à une marque donnée. Aussi c’est la méthode qui est importante. On fait du sur-mesure, on passe un temps fou à réfléchir.

Il faut aussi avoir une certaine expérience, et être capable d’avoir une réponse quasi immédiate / une solution. Il faut être bon à l’oral.

Mais tout ça évidemment n’est rien sans construction. Paris ne s’est pas faite en un jour, c’est le Ying et Yang. La Chine m’a beaucoup appris. C’est une très bonne école.

Et bien sûr un consultant doit avoir un bon esprit de synthèse, d’analyse. C’est lui qui fait « l’entonnoir », il faut savoir ouvrir et/ou remettre l’entreprise dans son cadre, saisir l’air du temps, arriver à filtrer les informations du monde.

Cela passe forcément par une bonne culture générale, et surtout une grande curiosité.»

La signature MLC (Martine Leherpeur Conseil) ?

«Une patte certainement. Inimitable, je pense, car il y a beaucoup d’exigence, de communauté : on travaille ensemble, dans mon équipe, on passe d’un dossier à l’autre, on se répartit les tâches par rapport au profil de l’entreprise cliente et au caractère de ses dirigeants.

Oui, le caractère, car nous sommes des humains, nous ne sommes pas rationnels, mais instinctifs, émotionnels. Je fais du marketing émotionnel depuis 20 ans. Ca se traduit par exemple par beaucoup de choses que j’ai faites gratuitement !

MLC est libre et généreux. C’est important dans le conseil, on donne toujours plus ! Je ne suis pas une marketeuse au fonds !»

Evolution du métier de Bureau de Style / Conseil

«Je trouve que le Bureau de style est démodé. Le métier aujourd’hui consiste à filtrer les informations (agences de conseil), contrairement à ce qui se passait avant : on n’avait pas l’information !

C’était une bataille permanente pour assister aux défilés des couturiers. Ce sont eux qui faisaient l’info.

Internet a tout bouleversé : avant, c’était le désert, avec au milieu une oasis verte. Aujourd’hui, c’est la forêt vierge. Heureusement le bureau de style a évolué lui aussi.

Dans le conseil en mode, l’œil est important. Nous faisons par exemple des shopping accompagnés avec nos clients. L’objectif est de leur fournir une nourriture, pas de copier ce qu’on voit ! Nous aidons nos clients à être différents.

Il y a 20 ans, c’était difficile de convaincre une marque de ne pas dire « je veux être Comme » . Aujourd’hui le marketing est plus fin, il y a plus d’analyse. C’est devenu un marketing créatif : on travaille en observant.»

La mode peut-elle encore inventer ?

«Bien sûr ! Il suffit d’une association, d’un mélange inédit. Comme en cuisine, les goûts changent, évoluent, et donnent lieu à de nouvelles recettes / habitudes. Par exemple, dans les années 70 il y avait très peu de produits stretch, et ça faisait vite déguisement. Aujourd’hui, on ne peut plus vivre sans !

J’adore le mélange très subtil, pas le total look. Les tendances existent toujours, mais sont plus compliquées à décoder.  Ca me séduit ! La mode m’amuse toujours autant. C’est un jeu très amusant !

La mode est un amusement compliqué. C’est une sorte de miroir aux alouettes, elle fascine toujours, mais c’est une industrie comme une autre, juste avec beaucoup d’irrationnel.»

Votre style ?

«J’ai appris la mode en la faisant. Je n’étais pas modeuse au départ. Ce que j’aime, c’est la création, les idées. J’aime les choses à la mode, mais pas dans la Mode.»

La mode est-elle superficielle ?

«Je crois que c’est comme le parfum.

Il y a une note de tête : ce que j’aime, l’allure que j’ai, la légèreté de mon attitude : changer de style selon mon humeur.

Ensuite, il y a le cœur : s’adapter au temps, à l’air du temps. C’est être léger et fondamental. Ou superficiel et essentiel.

Enfin le fonds : la mode est un repère social : elle montre qui on est, c’est un signe de qui on est. Ce n’est pas une question de prix. C’est un mouvement très profond.»

Votre plus grande fierté ?

«Mon implication dans l’association « Creative Handicraft », en Inde. L’objectif est d’aider les femmes des bidonvilles de Bombay. A l’origine du projet, il y avait une bonne sœur espagnole : elle forme ces femmes à la fabrication de produits textiles. Ces produits sont vendus chez Monoprix, lors de la semaine équitable. Les dernières ventes ont permis de faire vivre 600 familles. C’est une vraie entreprise ! Ils vont bientôt créer une marque. C’est une super aventure !»

Les projets les plus difficiles ?

«Je crois que le plus compliqué c’est quand on ne se comprend pas avec le client. Il vaut mieux partager la même philosophie, la même vision. C’est très important. Chez MLC, nous avons le luxe de choisir avec qui nous travaillons. Cette liberté n’est pas gratuite, mais cela n’a pas de prix !
C’était un parti pris dès le départ.»

Votre prochain voyage ?

«L’Himalaya ! C’est une grande passion. Je rêve d’y retourner, de faire des treks avec mon mari.  Ou alors l’Amérique du Sud à pied !»

Tant d’énergie, d’optimisme, et d’espoir. Ca fait du bien non ? Un œil positif pour commencer 2012, voilà qui est parfait !

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