Martine Leherpeur. Ce nom ne vous dit rien ?
Et pourtant cette femme est une figure de la Mode française. Sa carrière a débuté dans le premier bureau de style français, créé par Maïmé Arnodin à la fin des années 60. Journaliste, grande sportive, passionnée, la Dame a créé son propre cabinet de conseil en 1987.
Elle nous fait le plaisir de parler de sa vie, et du métier de consultant en mode / management de marque (partie 2 la semaine prochaine).
J’ai été reçue dans son bureau parisien : au centre, sa table de travail. Derrière elle, des livres classés par thèmes. Le rayon « Chine » est très garni. Il y a aussi « La France selon Charles Trénet », un livre sur Chanel, le catalogue de l’expo YSL, ou encore « Un siècle d’olympisme », qui trahit sa passion du sport.
Sur les étagères, il y a une variété incroyable d’objets, des peluches, des gri-gris rapportés des quatre coins du monde, et une collection de boules à neige. A l’entrée, un canapé en rotin vert, en face d’elle, des sièges en tissu orange design, qui ont l’air très confortables. Dans le coin des skis en bois, et de l’autre côté de vieux mannequins de couture.
10 ans avec Maïmé Arnodin
« Maïmé Arnodin, c’était à la fois ma patronne et ma belle-mère ! Mais surtout, c’était une personne brillante, major de l’Ecole Centrale des Arts et Métiers en 1939, elle avait la volonté de contribuer à rendre la mode accessible à tous. Elle a commencé sa carrière au Journal des Modes, où elle a lancé une nouvelle rubrique, dédiée au prêt-à-porter, une première dans un magazine féminin.
J’ai eu la chance de la rencontrer. Mais mon père voulait absolument que je finisse mon diplôme de pharmacie.
Je devais partir aux Etats-Unis, il me restait quelques mois avant le départ, et elle m’a proposé de travailler avec elle. Je ne connaissais rien à la mode, elle m’a tout donné, tout appris. J’ai passé 10 ans avec Maïmé.
Maïmé Arnodin et son associée Denise Fayolle et le livre qu’elles ont écrit ensemble,
« Le Beau pour Tous »
Les débuts chez Maïmé Arnodin
Au début, je m’occupais de choses très ennuyeuses : couper le tissu dans le droit-fil par exemple !
Je ne connaissais rien, alors j’ai appris en écoutant, en regardant, en lisant. Au tout début, c’est le travail des couleurs qui m’a plu. Maïmé m’avait dit que je n’aurais une idée du métier qu’après 7 ou 8 ans. En réalité, on apprend en permanence !
En ce moment par exemple, je travaille sur le développement des réseaux sociaux en Chine, dans le cadre d’une mission pour Dior. C’est très intéressant. Il est important pour ce métier d’être en mouvement, de s’auto-pousser. En 10 ans avec Maïmé, je me suis progressivement intéressée au terrain, en particulier à la distribution – c’était la grande époque de Prisunic. Après il y a eu les Trois Suisses. J’allais voir les usines, je touchais les tissus, les matières. Je retrouvais des choses de ma formation de chimiste 🙂
La mode, le rêve mais aussi l’esprit
La mode, c’est un secteur qui fait rêver tout le monde, mais ce sont des métiers très difficiles, très exigeants. Dans le métier de consultant, c’est une somme de travail qui n’est pas neutre. Et il est nécessaire de ne pas se tromper. C’est un métier entre l’art et le mass market ! Il faut convaincre la personne en face, tout en la respectant. Les stylistes font des études de style, ils ont une grande capacité de création. Mais pour développer une marque, il faut aussi un cerveau logique.
Dans mes cours de stratégie produit à l’IFM, je présente le travail des deux cerveaux dont nous sommes tous dotés : le cerveau gauche qui gère la logique, le raisonnement, la stratégie, et le cerveau droit, qui centralise l’imaginaire, la créativité, la communication. Chacun de nous développe plus ou moins l’un ou l’autre. Mais la cohabitation des deux, et leur utilisation en alternance est importante pour la réussite d’une stratégie.
Dans l’entreprise, il y a souvent une incompréhension entre ceux qui créent et ceux qui vendent. Ils ne parlent pas le même langage.
Conseiller pour réconcilier créativité et commercial
Le métier de conseil, c’est d’introduire cette approche dans l’entreprise, et de permettre à ces deux mondes de travailler ensemble. Il y a trente ans, les stylistes étaient radicalement opposés au marketeurs. Aujourd’hui les frontières sont plus floues : on crée des plans de collection, on les structure, etc.
Dans ce métier, on rencontre énormément de gens : des créateurs renommés (Agnès B), des clients étrangers, … C’est très intéressant.
Mais au bout de 10 ans, j’avais besoin de m’exprimer. Maïmé ne voulait pas transmettre son bureau. Un génie meurt avec son œuvre ! Pour progresser, j’avais besoin d’autre chose. Mon deuxième enfant était un bon prétexte, alors je suis partie.
10 ans Journaliste de Mode
J’ai pensé créer mon bureau de style, mais je ne voulais pas être un concurrent de Maïmé. Alors j’ai fait comme elle, j’ai commencé comme journaliste de mode. Maïmé a trouvé que c’était une très bonne idée, et m’a présentée à Claude Buet et Nina Dastakian, sa Mère spirituelle. Nina avait monté la première galerie surréaliste à Paris avec son premier mari. Elle avait une grande culture artistique. A l’époque, les budgets étaient plus larges, alors on voyageait beaucoup pour repérer de nouveaux créateurs : Miyake, Kenzo, etc.
Je travaillais chez ELLE, je voulais être rédactrice de mode, alors j’ai été mise en doublon d’une rédactrice. J’ai proposé de créer de nouvelles rubriques, centrées sur le bricolage. Ca leur a plu. J’ai appris à faire des photos, à m’occuper du stylisme, etc. J’ai aussi commencé à écrire pour GAP, l’ancêtre du Journal du Textile. Au total, j’ai passé 10 ans comme journaliste, en salariée et free-lance.
Par exemple, j’ai été correspondante du Harper’s Bazaar. C’était la course auprès des attachés de presse des marques pour avoir les modèles avant Vogue. J’ai fait des shooting avec des stars. Je me souviens notamment de Jerry Hall, avec un vison rose dans un camion militaire bâché !
Les valeurs de Martine Leherpeur
Progressivement, tout s’est cumulé en millefeuille, pour donner une expérience. Avec le recul, ça a l’air plus cohérent, mais ce ne l’était pas forcément à l’époque ! Je pense que dans la vie, il faut savoir attraper les opportunités, quitte à perdre beaucoup. Il faut suivre son nez. Malgré les périodes difficiles, il faut y croire, tenter, y aller. La curiosité est la première qualité dans ce métier. Il ne faut pas rester assis sur sa chaise. Il faut tenir bon, avoir des convictions.
Chez ELLE, j’étais la Dame Sport. Je faisais des sujets sur les navigatrices comme Florence Artaud.Un jour, j’ai préparé un article sur « Comment partir », le bon équipement à avoir pour des vacances sportives. C’était le Boom du Outdoor à l’époque aux USA. Il y avait douze pages de photos. J’avais fait des natures mortes : l’idée m’était venue quand je fais ais mon sac, tout était posé sur le lit. Alors j’ai aussi rédigé un mode d’emploi : tout ce qu’il faut avant de partir. Un boulot de 15 jours. Mais ELLE réduit le texte à quelques lignes.
Prise de conscience chez Elle
J’ai eu comme un déclic, une crise. Je me suis dit que ce métier était nul, que ce que je faisais ne servait à rien. Contrairement à ce que je faisais chez Maïmé. J’en ai discuté avec mon mari – le fils de Maïmé – alors que nous étions sur l’autoroute, pour un week-end randonnée en Suisse.
Je lui ai demandé de me trouver un rendez-vous avec le Directeur de la Fnac, qui refaisait à l’époque le magasin des Halles. Nous étions tous deux de grand sportifs, et ils n’avaient pas de rayon outdoor. On en a un peu parlé ensemble et je lui ai proposé de lui faire une étude. J’ai travaillé d’arrache-pied tout l’été. Et à la rentrée il m’a acheté l’étude et nous avons signé un contrat de conseil.
Progressivement, j’ai arrêté le journalisme. Ce magasin FNAC aux Halles, c’était un peu l’ancêtre de Décathlon. On y a lancé la marque Goretex, on a fait venir Borg, Jean-Claude Killy, on a travaillé à l’évolution du ski en France. C’était mon premier client !
MLC Conseil : création du bureau de style
J’ai créé mon bureau en 1987. C’était très petit, et étiqueté « Bureau de style du Sport ». Cette image était un peu fausse, mais on a commencé comme ça. Je ne voulais pas être un bureau de style, j’avais besoin d’autre chose. J’avais par exemple travaillé avec Chevignon, qui avait déjà une problématique de rajeunissement cible, etc. On a créé les premiers petits déjeuners « table-ronde ». Cela leur a permis de faire remonter les informations, et de retravailler leur gamme.
J’ai toujours essayé d’aborder les choses sous un autre angle : pour moi la création du produit est un bricolage entre l’idée et le produit. A partir notamment d’études de consommateurs cible on élabore un nouveau départ pour le produit. J’ai aussi abandonné les cahiers de tendances. Je déteste les cahiers de tendance ! Pour moi, personne ne sait s’en servir car les gens ne filtrent pas l’information. Comme je n’apportais rien, j’ai décidé de ne pas en faire.
Martine Leherpeur Conseil Bureau de Style
Aujourd’hui, Martine Leherpeur Conseil travaille selon 6 grands axes :
– La Prospective : c’est l’étude de l’air du temps, très utile, car le monde nous influence tous.
– Les Etudes de marché (pour les centres commerciaux), pour lesquelles nous avons des relais d’information, par exemple mes anciens étudiants de l’IFM.
– Le Benchmark : c’est la comparaison et l’évolution des marques, qu’il faut bien observer. Pour moi c’est plus facile grâce à mon métier de journaliste : j’ai une curiosité infinie.
– La Plateforme de Marque : pour cela il faut repartir de la marque. Elle est une personne que l’on doit connaître, partir de son ADN pour aboutir à la création d’un produit. Les résultats doivent être directement utilisables par l’entreprise. C’est notre spécialité.
– Le Style : nous élaborons des collections originales ou travaillons en soutien de l’équipe style de la marque (workshop). Notre mission est double : formation et transfert d’information.
– Le Terrain : on étudie l’architecture, le merchandising, les stratégies commerciales, on rencontre les agences de com’, etc.
Dans ce métier, il faut savoir se réinventer en permanence.»
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Martine Leherpeur nous parlera de son bureau en Chine, de ses activités humanitaires, de l’évolution du métier et des qualités appréciables pour être consultant.