Paul Poiret, vous ne le connaissez peut-être pas : il s’agit de l’un des couturiers français les plus importants du début du XXème siècle. Si vous me suivez sur Instagram, vous avez probablement découvert mes storys sur cette personnalité fantasque des années 1910s et 1920s. Vous pouvez les retrouver en story à la une, et sinon, voici l’essentiel à retenir au sujet de cet événement de juin 1911, la 1002ème Nuit.
Paul Poiret, en quelques mots
Poiret libère la femme !
Paul Poiret est un couturier français visionnaire : après avoir vendu ses dessins à Jacques Doucet, et travaillé pour la maison de couture Charles Worth, il lance sa maison de couture en 1903 et fait un coup d’éclat. En 1906, il supprime le corset des élégantes pour les libérer de toutes entraves.
Bon, quand on regarde sa création, on se rend compte qu’il va proposer aux femmes des robes entravées aux genoux… Personne n’est parfait.
Chanel sera la couturière qui achèvera de libérer vraiment les femmes. Poiret et elle ne se supportaient pas !
Poiret et les Ballets Russes
A partir de 1905, un mécène russe, Serguei Diaghilev, crée et exporte la musique et les arts Russes à travers le monde. Les Ballets Russes vont plonger l’Europe dans un orientalisme très poussé, qui rappelle l’engouement pour les indiennes au XVIIIème siècle.
Le conte des Mille et Une Nuits avait été traduit en français entre 1899 et 1904. Et un ballet, Shéhérazade, avait été donné en 1910.
Poiret sera un des couturiers les plus sensibles à cette vague orientaliste.
Elle sert de thème à l’une de ses collections les plus médiatisées.
Et pour cause, en génie du marketing qu’il est, Paul Poiret organise une fête incroyable dans les jardins de son hôtel particulier parisien 107, rue du Faubourg Saint-Honoré, la 1002ème nuit.
24 juin 1911, la 1002ème Nuit
Costumé en sultan, Paul Poiret accueille ses 300 invités dans un faste qui n’a rien à envier aux fastes des vrais sultans de l’empire ottoman ou moghol.
Une invitation prestigieuse signée Lepape et Dufy
L’invitation tout d’abord, est réalisée par Raoul Dufy et Georges Lepape.
Le programme de la soirée était gravé sur un panneau de bois et réhaussé de couleurs à la gouache par Dufy, nous dit Stéphane-Jacques Audade. L’historien de l’art et critique nous offre d’ailleurs le texte de l’invitation sur son site :
«Et ce sera le Mille et deuxième Nuit
Et cette nuit là il n’y aura pas de nuages dans le ciel et rien de ce qui existe n’existera
Il y aura des clartés & des parfums & des flûtes et de timbales & des tambours des soupirs de femmes & le chant de l’oiseau BulbulDroite et d’un jet comme la lettre aleph, mince & flexible comme le rameau de l’Arbre Tan, elle dansera belle comme la Lune, absolument ta vue et ton ouïe seront réjouis à l’extrême limite de la réjouissance
Des mimes savantes & fertiles en artifices improviseront des scènes belles & bien jouées et plus doux que le gâteau échevelé au miel seront les vers du poète
Pour ce qui est du vieux potier myope, il sera dans sa boutique comme y seront dans la leur & le marchand d’esclaves dont la moins belle vaut mille dinars d’or et le savetier pouilleux et le tailleur cacochyme et le divin aveugle et le cuisinier du pays de Sindh.
Et voilà pour eux
Et l’on verra des choses biens extraordinaires & des prodiges stupéfiantsIl y aura un vase de cornaline blanche
Et il y aura encore bien d’autres choses qu’il serait interminable d’énumérer
Et de plus on entrera par le Faubourg St. HonoréEt ce sera la Mille et deuxième Nuit».
Un coupon réponse illustré par Lepape
Pour répondre à l’invitation, Lepape crée un coupon détachable sur lequel se distingue le profil d’un prince perse réhaussé de gouache émeraude et d’or.
«LA MILLE & DEUXIÈME NUIT CHEZ PAUL POIRET
La fête aura lieu le samedi 24 juin 1911.
Elle serait remise en cas de mauvais temps.
Un costume emprunté aux contes orientaux est absolument de rigueur.
9h. 30 R. S. V. P.»
Une nuit qui a marqué les esprits
A la fin de sa vie, il a tout perdu, sa maison n’existe plus, et il meurt dans le dénouement le plus total…
Paul Poiret se rappelle cette fabuleuse soirée dans ses mémoires, En habillant l’époque, en novembre 1930.
Si vous souhaitez les lire, c’est dans un long extrait sur le site de S-J.Addade.
Petit extrait :
[Mes invités] traversaient d’abord une cour sablée où, sous un vélum bleu et or, des fontaines jaillissaient dans des vasques de porcelaine. On eut dit le patio ensoleillé de quelques palais d’Aladin. A travers les couleurs du vélum tombait une lumière multicolore. Ils montaient quelques marches et se trouvaient devant une immense cage d’or, grillagée de ferrures en torsade, et à l’intérieur de laquelle j’avais enfermé ma favorite (Mme Poiret) entourée de ses dames d’honneur, qui chantaient de véritables airs persans. Des miroirs, des sorbets, des aquariums, des petits oiseaux, des chiffons et des plumes, telles étaient les distractions de la reine du harem et de ses dames d’honneur. On pénétrait ensuite dans un salon, où il y avait un jet d’eau, qui paraissait sortir du tapis et retombait dans une vasque en cristal irisé.
Les costumes orientalisant de Poiret
Pour une soirée, Poiret fait réaliser par ses couturières des costumes incroyables, recouverts de broderies, de passementeries. Sa femme Denise incarne son style avec une tenue immortalisée en illustration par Georges Lepape, illustrateur attitré de Poiret.
Parmi les propositions de Poiret, on retient le turban, avec une aigrette chez Denise, qui habille très vite les têtes des élégantes des années 1910s/1920s.
Sur Instagram, j’ai d’ailleurs partagé avec vous une vidéo pour nouer son turban à partir d’un foulard. Vous pouvez aussi retrouver la vidéo sur Youtube.
Je n’ai pas l’habitude de faire ces formats de vidéo, alors n’hésitez pas à me faire vos retours ! Si vous aimez, dites-le moi, je me suis prise au jeu et j’adorerais vous proposer d’autres contenus de ce type 🙂
Les apports de Poiret à la mode
Paul Poiret était un visionnaire, car il avait tout compris au marketing avant-même que celui-ci n’existe.
Il savait orchestrer ses collections avec panache, comme avec la 1002ème nuit comme vous l’avez compris.
Mais il a aussi été le premier à proposer des parfums dérivés de sa création, les parfums de Rosine, du nom de sa fille.
Il a travaillé avec des artistes, et notamment Raoul Dufy pour créer des motifs originaux. Il a aussi créé une école d’arts décoratifs. Bien avant Jean-Paul Gaultier ou Christian Lacroix et également Chanel, il a dessiné des costumes pour la scène.
Parmi ses silhouettes, certaines étaient révolutionnaires et ont marqué durablement la mode, comme ses manteaux oversize !
Poiret Couture aujourd’hui
La vie actuelle de la maison de couture Poiret est complexe… Passée d’un groupe d’investissement luxembourgeois aux mains d’un groupe coréen, la maison n’a proposé de mode qu’en 2018, avec une première collection signée Yiqing Yin, la créatrice de mode avant-gardiste. Depuis, la maison existe, mais elle ne fait pas beaucoup parler d’elle…
Toutes les photos de ce post sont proposées à des fins de citation. Je n’ai pas pu contacter tous les ayant-droits…
Si vous êtes concerné, n’hésitez pas à me contacter pour que je supprime la photo en question de mon article. Merci pour votre soutien !