Exclusif : Rencontre avec Corinne Paulet, fondatrice de AMACS

Le marketing des produits de luxe… Un secteur qui en fait rêver plus d’un !

Mais étrangement, c’est un métier peu connu, et pour lequel il n’existe pas de formation… Enfin jusqu’à aujourd’hui !

Forte d’une dizaine d’années comme chef de produit puis chef de groupe, Corinne Paulet a décidé  de partager son expérience à travers l’ouverture d’une école spécialisée, dédiée aux métiers du marketing de la cosmétique de luxe, baptisée AMACS : Académie de Marketing Appliqué en Cosmétique Sélective. 
Comment êtes-vous tombée dans la cosmétique de luxe ?
J’ai fait des études en sciences économiques, j’ai découvert le marketing lors de ma licence en Allemagne.  J’ai tout de suite adoré, car il y avait un côté créatif  et en même temps de la logique. J’ai continué avec un Master en Economie et Langues Etrangères Appliquées à la Sorbonne. Je me rappelle notamment avoir travaillé sur un projet de groupe : le lancement d’un savon.

Ensuite j’ai fait un MBA à Berkeley, une formation intensive en marketing, avec des ingénieurs, etc… Pendant quatre mois, j’ai eu un prof, Tom Webb, qui nous poussait à chercher plus loin que les idées premières, pour répondre à un besoin. J’aimais bien ses cours, il faisait vraiment le Show !

A mon retour en France, j’hésitais entre mode et cosmétique.
J’ai travaillé comme vendeuse chez Céline dans un premier temps, c’était l’époque de la relance de la marque par Michael Kors. Et puis j’ai découvert la formation Sup de Luxe, qui est aujourd’hui un MBA (créée par le PDG Cartier, Dominique Perrin). C’était une des seules formations spécialisées à l’époque, j’ai fait partie des premières promos. J’ai décroché un stage chez Céline, au marketing.
Ca ne m’a pas plu du tout ! En fait, dans le secteur de la mode, j’ai compris que ce sont les stylistes qui créent, pas le marketing. J’ai donc tranché et me suis dirigée vers la cosmétique.

J’ai travaillé ensuite chez Lancôme, au Marketing Opérationnel de la division Retail (Marché Europe). C’est un autre métier que le marketing développement, où l’on crée les produits. 
A l’opérationnel, on dialogue avec les filiales Pays, on répond à leurs besoins ponctuels (PLV, etc.).
 
Après une courte expérience à la télé, chez France Télévision, j’ai été embauchée chez Phytomer, à Saint Malo. Je n’y suis pas restée longtemps, mais c’était une expérience très dense, et passionnante. Je me suis occupée du développement Cabine : le protocole de soin, et les process. Je n’ai pas créé de produits, mais j’ai conçu un plan marketing et lancé une ligne. J’ai notamment travaillé sur une ligne Homme, ce qui était rare à l’époque.

Le retour à Paris n’a pas été facile. Pour mieux connaître l’entreprise avant de m’engager auprès d’elle, je cherchais un CDD. J’ai été approchée par Gucci Parfums, mais cela n’a pas abouti, car ils recherchaient un CDI !

J’ai finalement trouvé un CDD de 6 mois chez Piaubert. J’y suis restée neuf années.
J’ai été engagée comme Chef de produit Corps, pour remplacer un congé maternité. Puis j’ai géré le Visage, et à son retour, j’ai travaillé à temps complet sur le Corps. Au bout de deux ans, je suis devenue chef de groupe Corps  et Visage.
 

Vous avez suivi plusieurs formations pour finalement faire ce métier. Quelle est la formation « standard » ?
En fait il n’y en a pas vraiment, c’est difficile d’y entrer quand on n’a pas fait une école de commerce. Et encore, une école de commerce n’est pas une formation spécialisée.  D’où l’idée de créer AMACS.

De mon expérience, j’ai constaté qu’on arrive souvent sur un poste, sans avoir de passation de dossiers, ou alors sur une durée très courte. Par exemple, pour les produits Piaubert, je n’ai pas été formée sur les produits sur lesquels je devais travailler à mon arrivée. Je ne l’ai eue que deux ans et demie plus tard !

Il m’a fallu mettre les bouchées doubles pour rattraper mon retard. J’ai donc développé une méthodologie. De la même façon, quand j’ai eu à recruter des chefs de produits, j’ai développé des méthodes de travail pour eux, pour leur faciliter l’intégration.  Et leur permettre de gérer l’urgence.

Avec cette méthode, nous avons pu gérer tous les lancements sans retard ni pression, car lorsque l’on s’organise, on peut anticiper. Adopter une structure, une organisation carré permet d’éviter le bricolage.
 
Comment vous est venue l’idée d’AMACS ?
Un chasseur de tête m’avait approchée, en me demandant si j’avais pensé à ma reconversion. Le métier de chef de produit puis chef de groupe sont plutôt des métiers que l’on exerce quand on débute. Si au bout d’un moment vous n’avez pas de proposition pour être Directeur Marketing, c’est que votre carrière n’évoluera plus.

Alors l’idée a progressivement germé, surtout quand j’ai constaté que ça manquait !
Il existe plusieurs formations spécialisées dans le parfum, la chimie, l’esthétique, mais il y a très peu de formations dans la cosmétique.

J’avais envie de créer une formation qui répondent aux besoins du terrain. Quand on arrive dans ce métier, on n’en connaît pas toujours tous les ressorts. Par exemple, on ne sait pas que les qualités rédactionnelles sont importantes !


Avec AMACS, je veux donner des atouts à ces gens passionnés, pour qu’ils réussissent. 

Ce sont des idées, astuces, méthodes. J’ai développé trois types de formations :
–    Formation courte (rétro-planning : apprendre à gérer les délais)
–    Formation longue 5 mois (février) (étudiants, reconversion)
–    Formation sur-mesure : modules en fonction des besoins.

 

Quelles sont les qualités qu’il faut avoir pour être chef de produit ?

Je dirais qu’il y en a deux :
Il faut être créatif, pouvoir apporter une valeur ajoutée à la marque, lui permettre de se démarquer avec des produits / concepts innovants.
Quand j’ai travaillé chez Jeanne Piaubert, j’ai pu développer des produits dont Phytomer ne voulait pas : le premier repulpeur de seins, la première mousse craquante re-musclante pour les bras, le premier produit minceur 8 jours avec un actif jour/nuit, le premier roll-on glaçon anti-capitons…
 

Ensuite, il faut être organisé. Le développement de produits est à l’origine de toute la chaîne de  lancement (fabrication puis distribution). Le moindre retard peut engendrer un retard sur la mise sur le marché. Or dans ce métier, il faut être dans les temps, sortir les produits au bon moment : on ne sort pas un produit minceur en hiver par exemple.

La créativité, c’est souvent inné, c’est difficile à développer. On peut éventuellement travailler sur les tendances, voir comment les exploiter. En revanche, l’organisation s’apprend. Il faut être intransigeant sur ce point.
 
Quel est le rôle du chef de produits ? Quelle est sa mission ?
Le chef de produit est un chef d’orchestre. Sa plus grande difficulté est le management transversal. Dans ce métier, on travaille en permanence avec les laboratoires, la logistique, les achats, etc…

On est jeune, la femme des achats a deux fois notre âge, on n’a pas de pouvoir hiérarchique sur elle, on n’est pas sa priorité, mais il faut arriver à la faire travailler pour nous dans le respect des délais. Le relationnel est donc très important. Il faut savoir prendre du temps pour parler vie personnelle, week-end, etc. pour tisser une vraie relation avec ses interlocuteurs, générer une volonté d’entraide. Cela implique aussi de savoir se faire respecter, d’où importance d’être sérieux.
 
Comment se passe la création d’un produit de A à Z ?
Un produit c’est avant tout un concept, une formule (le produit, qui a un parfum, une couleur et une texture), un packaging.

Pour aboutir à cela, il y a plusieurs étapes :
Les tendances peuvent nous influencer pour le choix des couleurs pour la formule ou pour le pack. Il faut y penser pour faire partie des sélections « couleur de la saison » des magazines par exemple.
On réalise aussi une analyse de la gamme et de ses manques pour combler les besoins.
Il y a parfois un nouvel actif à exploiter, qui nous est confié par les labo/ la R&D. Cela peut donner des idées / stimuler créativité.
 

Si l’idée est déjà là, on la soumet au labo, à travers un cahier des charges.
Dans le cas d’une rénovation (moderniser un best-seller qui a pris de l’âge), il faut faire très attention : changer juste une chose, par exemple le packaging, c’est risquer de perdre les consommateurs, qui peuvent avoir peur d’un changement. C’est un gros risque pour une marque.

On travaille aussi sur le concept, et sur le nom du produit, grâce à des brainstorming. Il faut toujours chercher à se démarquer des concurrents, en utilisant des noms qui marquent, et qui correspondent au concept. Par exemple, quand je travaillais sur un produit minceur, le mot «  Slim » était le terme le plus utilisé pour cette catégorie de produits. Nous avons pensé à utiliser le terme « DIET », moins fréquent. Mais l’inspiration ne venait pas. Et puis dans la nuit, j’ai pensé à « Speed-dieting ».
Un bon nom apparaît ensuite comme une évidence, et on est très surpris et très contents quand il n’est pas encore déposé à l’INPI !!! 

Il faut ensuite structurer l’idée dans un plan, prévoir le lancement en fonction de l’actualité. Un anti-âge se lance en janvier ou septembre, un produit minceur février. Ces temps sont calés sur les actualités des magazines, car ce sont eux qui parlent des nouveautés.

Le labo reçoit un brief, un cahier des charges qui décrit le parfum, la texture, la couleur (cf. tendances) souhaités.
Puis viennent les recherches de pack. La créativité / marge de manœuvre dépend de la marque, par exemple chez Biotherm, tous les packs sont standardisés.  La créativité peut aussi venir d’un pack, par exemple détourner un étui gloss pour un sérum contour des yeux.

Une fois que toutes ces étapes sont validées, on fait le point sur le Mix Marketing :
Le nom, la formule, le pack, le prix, la campagne de pub envisagée (il nous arrive de faire des recommandations pour le choix des mannequins, les ambiances, etc.)

Il y a aussi plusieurs outils à rédiger : les fiches produits, le Dossier de Presse parfois, les notices clients, les argumentaires de vente, le dossier marketing (qui est la Bible du produit : il comporte les infos R&D, le concept, la Force du produit (sa valeur ajoutée), son positionnement, etc).
 

L’analyse statistique du marché est-elle un paramètre dans la création des produits ?
Si on les a, bien sûr c’est mieux, mais les chiffres de ventes sont très chers (70 000 euros !)
La veille terrain est elle aussi importante. Mais il faut faire attention à ne pas trop influencé.
Quand je travaillais sur le corps chez Piaubert, nous travaillons à contre-courant du marché. C’est un peu dans les gènes de la marque, car quand Piaubert appartenait à L’Oréal, les produits novateurs étaient lancés d’abord chez Jeanne Piaubert, avant d’être lancés chez L’Oréal.
Aujourd’hui, les produits que nous avions lancés sont dans la tendance !

Pour la gamme, il est important de lancer des produits novateurs, qui viennent équilibrer des produits de fonds de gamme. Sur le VISAGE, la gamme est composée de produits d’hydratation et d’anti-âge. Pour le CORPS, ce sont des produits de minceur et d’hydratation.
Ensuite viennent les produits d’animation, qui permettent de faire de la marque, d’animer la gamme.
 

Les produits sont sur des niches, il y a donc peu de ventes, mais la stratégie globale est dans ce cas de faire parler de la marque. La stratégie Marketing c’est la vision d’ensemble que l’on a de sa gamme, de ses objectifs (où veut-on mener sa marque ?), et comment y parvenir.
Dans les petites marques, le budget est serré, donc l’objectif est de  développer le rédactionnel (articles qui ne sont pas achetés, contrairement à la pub).

J’ai aimé travailler pour de petites marques, pour la polyvalence qu’elle implique. A un moment donné, je travaillais même sur les achats, et sur le site internet de la marque, en plus du développement des produits.
 
Il y a trois grandes divisions dans la cosmétique : le parfum, le maquillage et le soin. Quelles sont les spécificités de chaque branche ?  
Le parfum, c’est un peu à part, c’est un peu le Mass Market de la mode.
Pour le maquillage, il y a une grande influence des tendances, de la mode (pour les couleurs), et moins de tests d’efficacité produit.

Sur le Soin, il y a des tests consommateurs obligatoires. 

– Revendiquer un actif implique un test consommateur qui vérifie chacun de ses items. La mission du chef de projet est donc aussi de : Rédiger des questionnaires en amont, qui soient assez larges, mais assez précis aussi pour savoir ce que l’on voudra revendiquer pour le produit.
– Rédiger des tests d’efficacité, une contrainte légale pour éditer un dossier COLIPA (pour l’export).
– Recruter les panels.
– Valider les items. 
– Calculer la significativité des items. 
– Rédiger de nouveau les notices produits, en fonction des résultats.
 Bien sûr, il y a toujours la formule magique « contient des actifs qui »…

Les contraintes scientifiques impliquent que les changements de carrière SOIN vers Make UP soient plus faciles que dans l’autre sens.

En soin, il faut appuyer le discours par des termes scientifiques : des noms de molécules, etc …
Aujourd’hui il existe une tendance très risquée : axer le discours sur un seul actif, par exemple l’huile d’argan. Pour un même actif, il y a un risque de confusion en fait, pour le consommateur, entre les produits de luxe, vendus en parfumerie, et les cosmétiques vendus en supermarché.
Le consommateur ne comprend pas la différence de prix, souvent liée à la concentration des actifs. Il est donc nécessaire de rassurer sur le plan technique / scientifique.

Il est donc important pour les chefs de produit soin de connaître les actifs car ils travaillent avec les labos. Ensuite leur mission est de vulgariser les actifs dans la notice produit notamment, pour la compréhension du grand public.

Après, il faut aussi tenir compte de la cible !
Si on travaille pour l’Homme, il est inutile de communiquer sur les actifs, ou sur les molécules / cellules. J’avais un prof qui disait que « L’homme c’est le Kosovo ». Ce qu’il voulait dire c’est que contrairement aux femmes, très éduquées par les magazines, les discours marketing des marques, l’homme ne connaît pas forcément les termes, par exemple adipocyte !
 
Les formules sont-elles vraiment efficaces, ou est-ce « juste du marketing » ?
Bien sûr y a des éléments qui ont un impact sur consommateur, par exemple le parfum. Par exemple une odeur désagréable implique que ça marche. Ou si ça chauffe, c’est que ça marche ! Ce rapport Beauté / Douleur fait partie de l’inconscient collectif : il faut souffrir pour être belle !

Autrement, les formules soin sont efficaces, car on n’a pas le droit d’écrire ce qui n’a pas été vérifié et mesuré (significativité) par les tests consommateurs. Il y a des règles, notamment de l’AFSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé) : le lien à la chirurgie est interdit, et il y a une obligation d’indiquer le nombre de personnes testées.

Comment marchent les tests ?
Il y a deux types de tests :
Les tests analogiques : une échelle de 1 à 10 d’autoévaluation sur un état donné, par exemple l’hydratation de la peau. On fait cette évaluation une première fois avant le test. Puis une seconde fois après le TEST. Comme la personne n’a plus les résultats de son premier test, on peut avoir des résultats plutôt fiables.
Ensuite, il y a aussi un questionnaire marketing classique (conscient) qui est donné parallèlement au test analogique. Ce qui est étonnant et intéressant, c’est qu’entre ces deux tests il y a souvent des contradictions… Mais seul le test analogique a une valeur légale.
 

Vous êtes une experte, quels sont vos Conseils Beauté ?
Je pense qu’il n’y a pas besoin de créer un besoin là où il n’y en a pas ! Si on habitue sa peau, elle réclame ensuite sa dose !
Ensuite, il est important de bien se démaquiller. Il faudrait aussi anticiper la ride visage, grâce ) des préventifs ou bien en s’hydratant le visage.
 

Quel est l’apport de la cosmétique dans la vie des femmes selon vous ?
Je pense qu’elle apporte un mieux-être, qui est important. J’ai pu le constater notamment au sein de l’association CEW, qui apprend aux femmes à se maquiller même dans des situations difficiles (maladies graves, etc). Prendre soin de soi c’est très important pour l’estime de soi. Beaucoup de femmes  sont complexées par rapport aux images des magazines. Je pense que c’est dommage, car la cosmétique est plutôt là pour mettre en valeur ses atouts, pas pour camoufler ses défauts. L’idée n’est pas de se comparer aux mannequins, mais de se sentir bien. Si on se plaît à soi, alors on plaira aux autres.  C’est important de mettre en valeur ce que l’on trouve joli chez soi. 

Ce que j’aime dans le maquillage c’est que cela permet de sculpter un visage. Comme en dessin, on peut accentuer une partie ou une autre ! Et puis il y a un geste indispensable pour moi : le mascara. 

Je crois que les femmes ont besoin du maquillage et de la cosmétique pour se sentir bien. Leur identité est construite dès l’enfance autour de la Beauté. On les juge en permanence sur le physique, alors elles manquent de confiance en elles. Ce n’est pas seulement en France, c’est partout, et de tous temps. Le but ultime est la Beauté, même si les critères changent. C’est dommage, on oublie un peu que chacun a sa Beauté. Il est important de faire un travail sur soi.

Bien sûr il ne faut pas faire d’excès. Il faut prévenir les rides, mais les accepter s’il y en a !


Pour en savoir plus sur AMACS, il y a bien sûr le site internet de la formation.
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